DVD Liberty Belle - Pascal Kané 20 ans en 60
Avec : Jérôme Zucca, Jean-Pierre Kalfon, André Dussolier, Bernard-Pierre Donnadieu, Dominique Laffin, Philippe Caroit, Juliette Binoche
Sénario de Pascal Kané et Pascal Bonitzer
Les Films du Losange 1983 - Doriane Films - 112mn - Version originale française
Prix de la presse internationnale 1984
SĂ©lection au Festival de Cannes Perspectives 1983
En octobre 1959, Julien Berg est en classe d’hypokhâgne dans un lycée parisien. Les remous de la guerre d’Algérie mettent le lycée en ébullition : militant d’extrême gauche et partisans de l’Algérie Française s’affrontent. Julien, par tradition familiale, sympatise avec les premiers puis finit par s’engager dans la lutte.
Mais ses imprudences et sa naïveté auront des conséquences dramatiques pour le réseau de soutien au FLN auquel Vidal, son professeur de philosophie appartient...
« Liberty Belle doit être salué comme un heureux événement, un film qui, dans le classicisme même de sa forme, ouvre beaucoup de sujets, de développements possibles... » - Michel Chion
Texte de Benjamin Stora rédigé à l’occasion de la sortie DVD du film
Liberty Belle.
Insolences et engagements clandestins.
Par Benjamin Stora.
Historien, spécialiste de la guerre d’Algérie
Vingt ans seulement après la seconde guerre mondiale, des réseaux de militants clandestins se sont formés en France, s’affrontant avec la police. Il est toujours question, dans l’ombre, de liberté et d’émancipation de peuples opprimés, de droits de l’homme. Mais cette fois, nous voici plongés dans une autre guerre : celle où des Français se sont violemment combattus entre eux pour le maintien de l’Algérie française ou l’indépendance. Le grand mérite du film de Pascal Kané, Liberty Belle, sorti vingt ans seulement après l’indépendance algérienne, en 1983, est d’abord de soulever un coin du voile de cette guerre civile franco-française.
L’action se déroule dans l’année 1959. Cette année-là tout bascule autour de la « question algérienne ». Les militaires français semblent remporter la guerre sur le terrain avec le terrible « Plan Challe » qui décapite les maquis de l’ALN en Algérie. Mais le général de Gaulle, revenu au pouvoir un an plus tôt, a compris que ce conflit colonial d’un autre âge est de plus en plus impopulaire dans la société française, retarde le processus de modernisation de la France, et l’isole au plan international. Le 16 septembre, il prononce un discours fameux se prononçant pour l’autodétermination, qui ouvre une dynamique nouvelle. Il semble également avoir pris la mesure de ce qui se trame dans la jeunesse (ce qu’il ne comprendra pas en mai 68…).
A l’automne de cette année 1959, en octobre, est diffusée la première émission de musique de rock sur Europe 1, Salut les copains, sur les transistors écoutés par une jeunesse impatiente et qui refuse la guerre ; Jean-Luc Godard commence le tournage d’A bout de souffle. François Truffaut quelques mois plus tôt a remporté le prix de la mise en scène au Festival de Cannes avec les Quatre cents coups. Entre musique et cinéma, une jeunesse rebelle se découvre, apparaît.
Liberty Belle montre bien les engagements et les impatiences de lycéens dans cette rentrée scolaire de 1959. Julien Berg, entre en hypokhâgne dans un lycée parisien. Il y retrouve ses camarades, un groupe d’étudiants engagés, qui distribuent tracts et prospectus pour la « paix en Algérie ». Son professeur de philosophie, Vidal (interprété par un jeune André Dussolier), admiré du groupe, est un sartrien, proche des réseaux de soutien aux indépendantistes algériens. Mais Julien sera surtout attiré par un nouveau dans la classe, Gilles, un dandy qui l’entraîne dans son sillage. Il découvre avec lui le cinéma d’action américain, les parties de poker dans un club privé où règne Brinon, personnage mystérieux (joué par un inquiétant Jean-Pierre Kalfon) qui se révèlera être d’extrême-droite… Le film dit aussi les premières approches amoureuses (Gilles et Julien cherchent à séduire Elise, une serveuse, maîtresse de Vidal, interprétée par Dominique Laffin), les « suprises-parties », les promenades et les rendez vous dans un Paris nocturne et sombre….
Avec un soin particulier pour la couleur ; du goût pour le décor d’époque, à la fois simplifié et significatif ; une direction d’acteurs cherchant moins l’illusion réaliste que la distanciation critique, Pascal Kané restitue dans son adaptation cinématographique les « couleurs » glacées d’une guerre civile, dans une forme romanesque. Il montre les effets d’une situation historique précise : la montée des violences clandestines, l’exaspération de la jeunesse, les tentatives de révolte qui débouchent sur des échecs tragiques, mais provisoires.
Liberty Belle est bien un film marquant dans l’histoire compliquée entre cinéma et guerre d’Algérie.
Benjamin Stora.
http://www.univ-paris13.fr/benjaminstora/
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